Blanche-Neige de Roald Dahl
Quand la mère de Blanche-Neige mourut,
le roi son père lui dit d'un ton bourru :
<<Ah, quel ennui que de perdre sa femme !
Il faut trouver une autre dame>>
–pour un roi il n'est jamais pratique
de se procurer ce genre d'article–
Il fit paraître une annonce dans les journaux :
<<Roi cherche reine>>, disait le texte en peu de mots.
De milliers de jeunes filles il reçut la réponse,
Qui voulaient être reines par petites annonces.
Le roi déclara d'un air sournois
:<<J'aimerais bien les essayer une fois>>.
Il finit, par choisir pourtant une
demoiselle Machin-Chose qui possédait
un teint de rose, qui possédait un
gadget intéressant :
c’était un MIROIR MAGIQUE qu'un cadre de cuivre ornait,
Un miroir magique qui parlait français.
Quand on l'interrogeait
Sur n'importe quel sujet
Il répondait sans hésiter.
<<Miroir, qu'y a t-il pour le déjeuner ? >>.
Le miroir répliquait aussi sec :
Aujourd'hui, c'est purée et beefsteak>>.
La nouvelle reine, très bête et vilaine,
Demandait au miroir, chaque jour de la semaine :
<<Miroir, miroir, dis-moi un peu Qui est la plus belle à tes yeux?>>.
Et chaque fois on entendait la ritournelle:
<<Ô Madame la reine, c'est vous la plus belle.
La plus belle de ce palais,
Belle comme un oiseau népalais !>>.
Pendant dix années, la stupide reine se
livra à sa marotte quotidienne.
Mais tout à coup, un beau jour qui ne l'était pas,
Le miroir magique brusquement déclara
: <<Reine, tu te retrouves numéro deux.
Blanche-Neige est la plus belle à mes yeux >>.
La reine encaissa mal le coup
Et cria : <<Je vais lui tordre le cou !
Son compte est bon ! Je vais la faire dépecer
Et me ferai servir ses tripes pour dîner!>>.
La reine fit venir le chasseur de la cour
Et lui ordonna : <<Emmène-la faire un tour
Quand vous serez loin, tout au fond des bois,
Enfonce-lui trois fois ton couteau dans le foie.
Ouvre ses côtes, fouille dedans
Et ramène-moi son cœur fumant ! >>.
Le chasseur entraîna l'enfant si ingénue
Au fond de la forêt, loin des sentiers battus.
Comprenant la combine, la pauvrette supplia :
<<S'il vous plaît, soyez bon et ne me tuez pas !>>.
La dague était levée, le bras était puissant,
Elle supplia encore : <<Mon cœur est innocent !>>
Du dur chasseur lui-même se ramollit le cœur
Qui fondit à l'instar d'une motte de beurre.
Il murmura : <<Allez, va-t'en, c'est bon! >>
Et Blanche-Neige lui dit : <<Merci, ciao mon bon ! >>
Afin de se tirer d'affaire
Le chasseur va voir la bouchère
Et lui achète pour sauver sa peau
Un joli beefsteak et un cœur de veau.
<<Reine, Majesté! Déclara-t-il d'une voix forte,
ça y est! Cette petite saleté est bien morte !
Comme vous me l'aviez demandé,
Voilà son cœur dans ce paquet >>.
La reine s'exclama :<<Bravissimo! Parbleu,
J'espère que tu l'as tuée à petit feu >>
Alors (et c'est là que ça devient vraiment dégoûtant)
La reine, à table, mangea le cœur à belles dents.
(J'espère seulement qu'elle l'avait bien fait cuire,
le cœur bouilli est souvent dur comme cuir).
Et pendant que la reine se régalait
Où Blanche-Neige était-elle donc passée?
Elle a fait du stop pour aller en ville
(Quand on est mignonne, c'est toujours facile)
Et s'est engagée comme jeune-fille au pair,
Cuisinière et bonne à tout faire,
Chez sept curieux petits bonshommes
Qui ne sont pas plus hauts que trois pommes.
Anciens jockeys, amateurs de chevaux,
Les sept petits messieurs ont un très gros défaut :
Ils vident leur bourse
En jouant aux courses
Et quand ils n'ont pas misé sur le bon baudet
Alors il n'y a pas de quoi dîner.
Blanche-Neige à la fin leur dit : <<Si vous continuez,
Nous allons tous être ruinés,
Je connais un moyen pour nous tirer d'affaire.
Attendez-moi. Laissez-moi faire >>.
Le soir même, la jeune fille
Arrive en stop au palais
Et sans être vue s'y faufile
Profitant de l'obscurité.
Le roi est dans son bureau
En train de compter l'argent des impôts.
La reine est dans son boudoir,
Mangeant du miel et du pain noir ;
Les laquais sont tous endormis.
Blanche-neige avance en catimini,
Décroche le miroir et emmène le bidule.
Elle demande au plus âgé
D'interroger le miroir.
Demande-lui un tuyau pour voir.
- Miroir dit le nain, tu es notre espoir,
ne te moque pas de moi, s'il te plaît,
nous sommes tous fauchés comme les blés !
Quel cheval remportera la course demain,
Au Grand Prix de Longchamp gagnera haut la main? >>.
Et le miroir répond instantanément :
<<Rantanplan c'est le nom du gagnant >>.
- <<Merci miroir>> ! Disent les nains émerveillés.
Ils embrassent Blanche-Neige sur le nez,
Puis vont chercher suffisamment de galette
Pour pouvoir jouer gros sur la brave bête.
Ils mettent leurs montres au clou,
vendent leur vieux tacot,
Empruntent à droite, à gauche, à Paul et à Jacquot,
Font la manche aux carrefours,
Jouent du tambour dans les cours,
Les voilà à Longchamp, et bien évidemment,
Ils misent pour une fois sur la bonne jument.
A dater de ce jour et de cette heure,
Le miroir fit payer les bookmakers.
Aujourd'hui, grâce au miroir qui pronostique,
Blanche-Neige et les sept nains ont une vie sympathique.
Conclusion : Jouer ne rend pas fou
Pourvu que l'on gagne à tous les coups.
le roi son père lui dit d'un ton bourru :
<<Ah, quel ennui que de perdre sa femme !
Il faut trouver une autre dame>>
–pour un roi il n'est jamais pratique
de se procurer ce genre d'article–
Il fit paraître une annonce dans les journaux :
<<Roi cherche reine>>, disait le texte en peu de mots.
De milliers de jeunes filles il reçut la réponse,
Qui voulaient être reines par petites annonces.
Le roi déclara d'un air sournois
:<<J'aimerais bien les essayer une fois>>.
Il finit, par choisir pourtant une
demoiselle Machin-Chose qui possédait
un teint de rose, qui possédait un
gadget intéressant :
c’était un MIROIR MAGIQUE qu'un cadre de cuivre ornait,
Un miroir magique qui parlait français.
Quand on l'interrogeait
Sur n'importe quel sujet
Il répondait sans hésiter.
<<Miroir, qu'y a t-il pour le déjeuner ? >>.
Le miroir répliquait aussi sec :
Aujourd'hui, c'est purée et beefsteak>>.
La nouvelle reine, très bête et vilaine,
Demandait au miroir, chaque jour de la semaine :
<<Miroir, miroir, dis-moi un peu Qui est la plus belle à tes yeux?>>.
Et chaque fois on entendait la ritournelle:
<<Ô Madame la reine, c'est vous la plus belle.
La plus belle de ce palais,
Belle comme un oiseau népalais !>>.
Pendant dix années, la stupide reine se
livra à sa marotte quotidienne.
Mais tout à coup, un beau jour qui ne l'était pas,
Le miroir magique brusquement déclara
: <<Reine, tu te retrouves numéro deux.
Blanche-Neige est la plus belle à mes yeux >>.
La reine encaissa mal le coup
Et cria : <<Je vais lui tordre le cou !
Son compte est bon ! Je vais la faire dépecer
Et me ferai servir ses tripes pour dîner!>>.
La reine fit venir le chasseur de la cour
Et lui ordonna : <<Emmène-la faire un tour
Quand vous serez loin, tout au fond des bois,
Enfonce-lui trois fois ton couteau dans le foie.
Ouvre ses côtes, fouille dedans
Et ramène-moi son cœur fumant ! >>.
Le chasseur entraîna l'enfant si ingénue
Au fond de la forêt, loin des sentiers battus.
Comprenant la combine, la pauvrette supplia :
<<S'il vous plaît, soyez bon et ne me tuez pas !>>.
La dague était levée, le bras était puissant,
Elle supplia encore : <<Mon cœur est innocent !>>
Du dur chasseur lui-même se ramollit le cœur
Qui fondit à l'instar d'une motte de beurre.
Il murmura : <<Allez, va-t'en, c'est bon! >>
Et Blanche-Neige lui dit : <<Merci, ciao mon bon ! >>
Afin de se tirer d'affaire
Le chasseur va voir la bouchère
Et lui achète pour sauver sa peau
Un joli beefsteak et un cœur de veau.
<<Reine, Majesté! Déclara-t-il d'une voix forte,
ça y est! Cette petite saleté est bien morte !
Comme vous me l'aviez demandé,
Voilà son cœur dans ce paquet >>.
La reine s'exclama :<<Bravissimo! Parbleu,
J'espère que tu l'as tuée à petit feu >>
Alors (et c'est là que ça devient vraiment dégoûtant)
La reine, à table, mangea le cœur à belles dents.
(J'espère seulement qu'elle l'avait bien fait cuire,
le cœur bouilli est souvent dur comme cuir).
Et pendant que la reine se régalait
Où Blanche-Neige était-elle donc passée?
Elle a fait du stop pour aller en ville
(Quand on est mignonne, c'est toujours facile)
Et s'est engagée comme jeune-fille au pair,
Cuisinière et bonne à tout faire,
Chez sept curieux petits bonshommes
Qui ne sont pas plus hauts que trois pommes.
Anciens jockeys, amateurs de chevaux,
Les sept petits messieurs ont un très gros défaut :
Ils vident leur bourse
En jouant aux courses
Et quand ils n'ont pas misé sur le bon baudet
Alors il n'y a pas de quoi dîner.
Blanche-Neige à la fin leur dit : <<Si vous continuez,
Nous allons tous être ruinés,
Je connais un moyen pour nous tirer d'affaire.
Attendez-moi. Laissez-moi faire >>.
Le soir même, la jeune fille
Arrive en stop au palais
Et sans être vue s'y faufile
Profitant de l'obscurité.
Le roi est dans son bureau
En train de compter l'argent des impôts.
La reine est dans son boudoir,
Mangeant du miel et du pain noir ;
Les laquais sont tous endormis.
Blanche-neige avance en catimini,
Décroche le miroir et emmène le bidule.
Elle demande au plus âgé
D'interroger le miroir.
Demande-lui un tuyau pour voir.
- Miroir dit le nain, tu es notre espoir,
ne te moque pas de moi, s'il te plaît,
nous sommes tous fauchés comme les blés !
Quel cheval remportera la course demain,
Au Grand Prix de Longchamp gagnera haut la main? >>.
Et le miroir répond instantanément :
<<Rantanplan c'est le nom du gagnant >>.
- <<Merci miroir>> ! Disent les nains émerveillés.
Ils embrassent Blanche-Neige sur le nez,
Puis vont chercher suffisamment de galette
Pour pouvoir jouer gros sur la brave bête.
Ils mettent leurs montres au clou,
vendent leur vieux tacot,
Empruntent à droite, à gauche, à Paul et à Jacquot,
Font la manche aux carrefours,
Jouent du tambour dans les cours,
Les voilà à Longchamp, et bien évidemment,
Ils misent pour une fois sur la bonne jument.
A dater de ce jour et de cette heure,
Le miroir fit payer les bookmakers.
Aujourd'hui, grâce au miroir qui pronostique,
Blanche-Neige et les sept nains ont une vie sympathique.
Conclusion : Jouer ne rend pas fou
Pourvu que l'on gagne à tous les coups.
Roald Dahl, né le 13 septembre 1916 et mort le 23 novembre
1990, est un écrivain gallois, auteur de romans et de nouvelles, qui
s'adressent aussi bien aux enfants qu'aux adultes. Parmi ses œuvres les plus
célèbres, on peut citer Charlie et la chocolaterie, adapté plusieurs fois au
cinéma, ainsi que des recueils de nouvelles grinçantes Kiss kiss et Bizarre,
bizarre (Someone like you).